Temple des légendes oubliées
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 L'Eclipse

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Onyx
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Onyx


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MessageSujet: L'Eclipse   L'Eclipse EmptyMar 5 Déc - 0:10

Chapitre I : Un air d’été

Onze années de bonheur relatif s'étaient écoulées depuis la libération de Coerthas, et le sang qui avait jadis marbré ses terres lui donnait aujourd’hui prospérité et abondance. Aled, ville et perle de la culture Suori, était un symbole de la renaissance de ce peuple martyr : on y trouvait nombre d’artisans sculpteurs, des graveurs et des tailleurs, quelques peintres de renom, tout un gotha de têtes pensantes qui permis l’émergence d’un certain nombre d’académies de sciences exactes et d’autres moins rationnelles, étudiant l’esprit et non le corps, l’irréel et ses conséquences matérielles. C’est donc au cœur du Royaume d’Aled, dans sa capitale éponyme, bercés par les récits d’ascension de leurs pairs et par les colportassions des différents marchands, que vinrent nombre de vétérans désaffectés en quête d’une nouvelle raison à leur existence. Certains aspiraient à devenir de riches commerçants, d'autres se rêvaient en nouveau Adéïs, célèbre philosophe à la cour du Roi, mais beaucoup cherchaient surtout à gagner leur vie, maigrement s’il le fallait, car leur statut offrait honneur et reconnaissance, mais pas de quoi mettre du pain dans la gamelle.
Artys comptait parmi ces nombreux anciens combattants qui furent temporairement affectés à la construction de la section du rempart Alédien de Médina, bourg périphérique de la capitale, où résidait la famille royale. Bel homme, il était bien bâti et sa longue chevelure noire lui caressait ses deux épaules, larges comme un madrier. Il était presque aussi grand que deux épées de taille moyenne, un bon copiste l’affabulerait du stéréotype des fils et filles de la libération. Après la guerre, il avait été assigné -la mort dans l’âme- à la section de Médina sur recommandation du commandant des armées de la Monesty, Louis Charmes, et ce dans l’attente d’une réaffectation militaire, qui tardait à venir au goût d’Artys, dont la patience avait été rudement éprouvée ces derniers mois.
Le soleil frappait fort sur les blocs de grès, et l'ancien combattant suait à grosses gouttes, lui qui venait des Monts de Ribel n’avait jamais connu telle chaleur : le soleil n’était pas encore à son zénith que la température était déjà difficilement soutenable en ce dimanche de Juin, et il ne serait venu à la tête d’aucune personne sensée de travailler par une telle température, moins encore pendant le jour tranquille. Pourtant, Artys était un esprit réfléchi, et l’hypothèse d’imbécilité n’était pas la bonne. En réalité, il mourrait d'ennui, lui qui avait autrefois compté parmi les héros de guerre, qui avait bouté hors du Royaume les Natiniens et qui n’était aujourd’hui plus que simple bâtisseur, affecté dans un bourg périphérique d’Aled, loin de ses compagnons d’infortunes qui, eux aussi, s’étaient retrouvés affectés à des postes de basse reconnaissance, éloignés de leur foyer, de leur famille. Fort heureusement, Artys s’était lié à quelques camarade d'œuvre, avec qui il partageait le logis au sein de l’auberge des bâtisseurs de Médina, la Pampa. Ce dimanche, il s’était levé avant l’aube, afin d’éviter les chaleurs précoces de l’été et l'ivresse qui prenait ses nouveaux comparses, pensant, à raison, que s’être levé si tôt avait été sa meilleure action de la journée. Bloc par bloc, le rempart de Médina s’élevait, et Artys n’était pas peu fier lorsqu’il arpenta avec agilité l’enchevêtrement d’échafaudages pour se rendre au pied des murs, maillet à la main :
« - C’est splendide, se dit Artys, le regard emplit de fierté.
- Vous répondra-t-il ? dit une personne inconnue.
- Qui donc ? balbutia Artys rouge de honte, en se retournant brusquement.
- Le Mur, vous l’avez complimenté, pensez-vous qu’il va vous remercier ?
- Eh bien… je… non bien sûr que non c’est un mur, quelle personne pourrait croire qu’un ensemble de grès me répondrait ? »
Artys, embarrassé, faisait face à une femme plutôt jeune, qui ne devait avoir guère plus qu’une vingtaine d’années à en croire le jugement du jeune bâtisseur. Elle n’était pas grande, une longue chevelure ondulée au reflet chatain, presque blond, tombait au bas de son dos. Sa peau laiteuse était mise en valeur par une somptueuse robe satinée. De ses yeux bleus, cette mystérieuse femme fixait Artys, de telle sorte qu’il se sentit transpercé par un sortilège de lecture. Devant le silence pesant qui commença à s’installer, il répliqua :
« -Veuillez m’excuser, je ne suis pas aussi rude habituellement, vous m’avez, Mademoiselle, quelque peu surpris, dit-il l’air embarrassé, quoique mes activités sur ce mur n’est rien d’illégale s’il faut vous rassurer.
- Votre entreprise ne me regarde en rien mais votre détermination à tailler la pierre par tel ensoleillement est surprenante, dit-elle non sans sourire.
- Alors nous sommes de surprenantes personnes, lâcha-t-il avec son air rieur, car je m’estime à tout égard autant surpris par votre arrivée que vous le fusse par mon travail. Aurai-je le privilège de connaître votre nom, belle damoiselle ?”
Avant même qu’elle puisse répondre, une main frappa lourdement l’épaule d’Artys, qui se retourna brusquement pour faire face à un homme bourru, trapu de forme :
« -Tu t’es ramolli mon ami !
- ERIC !” Clama Artys, plus surpris qu’un renard dans un poulailler. Il voulut se retourner pour présenter son camarde de chambrée à la jeune femme, mais il ne subsistait de son passage rien de plus qu’une douce odeur de jasmin, elle était partie. L’ancien combattant n’eu même pas temps de la chercher du regard qu’Eric le reprit :
- Qu’est ce que tu fais sur le mur par un tel temps, et surtout, un dimanche !?” le questionna Eric. “Ta mauvaise habitude de traîner la taverne avec le vieux Dagor a usé de ton discernement” lâcha t-il avec soupirement.
Artys esquissa un sourire en désignant le ventre grandissant d’Éric auquel il répliqua “Et l’alcool de ton profil”. Un silence plana entre les deux individus pendant quelques secondes, lorsque presque aussitôt les deux se mirent à rire.
« -Bon allez Artys, cesse de te tourmenter avec ce mur, il ne te rendra pas plus heureux qu’une putain dans ton lit, crois-moi le dimanche n’est pas fait pour travailler, il n’y a de jour tranquille que pour se saouler et parfois, si les dieux le veulent, pour baiser. Jette ce marteau et rejoins-nous à la Pampa. Ermin a convoqué un conseil.
-Un conseil ? dit Artys d’un air dubitatif.
-Un conseil oui, un conseil de putain, parce que nous sommes dimanche. Bon sang Artys, c’est avec ta tête que tu frappes la pierre, ou avec le marteau ? »
Artys souffla plus que ce qu’un homme pouvait expirer en une journée entière. « Je ne comptais pas y rester plus longtemps, alors allons-y… » pensa-t-il. Les deux hommes partirent en direction de l’auberge, et à leur bonne habitude ils se contaient quelques histoires et faits d’armes des guerres de libération.
“- La deuxième bataille d'Argencourt était probablement la pire à laquelle j’ai participé, lança Éric l’air grave, nous piétinions sous un soleil ardent les corps de ceux qui fussent massacrés six mois auparavant, dans une odeur de putréfaction infâme -Éric avait encore des haut le coeur en évoquant cette scène- et alors que les Natiniens faisaient pleuvoir des centaines de flèches et de plombs.


- Oui je me rappelle, nous étions avec le XIème régiment affectés à la commanderie de la Haute-Mancy, Ermin avait évoqué ce renversement du destin, un véritable massacre selon ses mots.
- Oeil pour oeil …” commenta Éric, dont les sourcils trahissaient la haine farouche qu’il vouait à l’ancienne nation tutélaire. Sur son visage perlaient quelques gouttes de sueur qui se perdaient dans sa barbe fournie, nattée avec de fins morceaux de lin. “Prenons à gauche par la rue des Panetiers, ce sera plus long mais au moins on sera à l’ombre, même si j’aime bien l’idée d’avoir soif, dit-il l’air mesquin.
- Bonne idée, je meurs de chaud et l’odeur de la bonne nourriture ne se refuse pas !”
La rue des Panetiers étaient l’une des plus marchandes d’Aled, des commerçants, éleveurs et autres artisans venaient des confins d’Elyza, parfois pour vendre une camelote sans valeur à d’honnêtes hommes, et d’autres pour offrir le meilleur de leur production. Alors que les deux amis regardaient avec envie les diverses pièces de venaisons d’un marchand venu du pays des Carmes, un inconnu surgit et s’agrippa si fort au bras gauche d’Éric qu’il manqua de le lui démettre. Il attira l’ancien guerrier vers son étal, qui jouxtait celui du Carmélite. Sa marchandise était étalée sur quelques caisses en bois d’acajou, nappées de draperies datées, blanchies par les quelques dizaines d’années de services. Parmi les différents bibelots présentés, l’un d’entre eux se démarquait un peu plus, il s’agissait d’une bouteille, de la même apparence que celle que le marchand tentait de refourguer à Éric. Elle était d’apparence verdâtre, sans fioriture, totalement lisse, et son bouchon ne laissait même pas transparaître une idée de son origine. Son contenu paraissait jaunâtre, mais l’épaisse couche de poussière qui enveloppé le contenant ne permettait pas de l’affirmer avec certitude :
« -Monseigneur, je vous en prie goûtez mon breuvage et dîtes m’en quelque opinion. Buvez, je vous en conjure ! suppliqua le marchand, dévoilant une langue parsemée de cicatrices et maculée de sang.
-Je ne suis pas seigneur, et je n’ai point soif de votre pisse en bouteille, escroc ! railla Éric, agacé par le comportement du marchand.
-Il est évident que vous ne l’êtes pas, seigneur, car seul un bâtard s’exprime avec si peu d’élégance, dit le marchand avec un air suffisant. »
Éric saisit le marchand par le col de son habit, et alla le plaquer violemment contre la façade d’une échoppe :
« -Il y a encore quelques années, les ignobles Natiniens de ton espèce étaient pendus à ce même genre de crochet. Ne me donne guère plus de raisons de t’y empaler, vagabond, car je ne manquerai pas de plaisir à le faire dès que l’occasion se représentera.
-Va donc proposer ta verroterie de poison loin de Coerthas, dit Artys au marchand. »
Agacés d’avoir perdu leur temps, Éric et Artys s’éloignèrent à pas rapide de la rue marchande, coupèrent par une ruelle anormalement raide, et arrivèrent finalement à la Pampa, peu après le zénith, qui grouillait déjà de monde. Dedans, les mêmes habitués, aux mêmes tables, dégustaient le même breuvage, une infâme cervoise dans d’affreuses choppes à la propreté atypique d’une auberge de bas-fonds. La clameur de ses abonnés était couverte par les claquements rythmés des danseuses de la Pampa, couplée d’un orchestre amateur plus proche du capharnaüm que d’une véritable symphonie. Éric désigna une table ronde, idéalement située entre ce semblant de scène et le bar. Une nappe en cretonne rouge enveloppait la table, marquée par le temps, et l’on aurait presque pu compter chaque chope que cette table avait un jour connue. Éric s’installa violemment dans la chaise, qui faillit craquer sous le poids en constante augmentation du vétéran. Artys, lui, s'assit avec un raffinement relativement plus noble que son camarade, quoique loin des us de la cour. Peu importe, les deux hommes se fichaient bien de savoir s'asseoir, ils n’étaient là que pour boire et chanter, et peut-être même courir la dame. Mais Artys avait l’air hagard, en fait il avait cette tête depuis qu’Éric l’avait embrigadé dans sa quête de cervoise.
-Où est Ermin ? demanda Artys.
-Dans une vallée boisée, non loin d’une profonde et chaleureuse mine…
-Il n’avait pas convoqué le « conseil » ?
-Il s’agirait de réfléchir Artys. Réfléchir. Dois-je te dessiner une quelconque carte ? Cette mine s’appelle sûrement Safia, brune de cheveux, probablement Valoise sur ses origines maternelles, putain de mère en fille et …
-Je pense avoir compris Eric…. Combien en prendras-tu ? Il désignait de son bras droit une bordée de chopes en bois, disposées anarchiquement sur un angle de bar à peine éclairé.
-Autant qu’il en faudra pour délier ta langue. Tu es plutôt discret quand il s’agit de femme, mais cette fois-ci, autant dire que ta mine trahit l’éléphant derrière l’arbre.
-Une devrait suffire alors ! » C’était le vieux Dagor. « C’est là que ça devient amusant » pensa Eric -et ce le fut-. Dagor était un homme puant, sa grisonnante barbe bouclée couvrait le haut de son buste gras, presque assez large pour y accueillir un tonnelet de cervoise, dans lequel se terrait son cou, comme noyé dans cet ensemble adipeux. Sa voix graveleuse laissait s’échapper quelques hoquettements d’ivresse permanente, que ses guenilles soulignaient avec une odeur indescriptible, mélange de fumier, vins en tout genre et une rare variété d’herbe à pipe mal fumée.
-”Griselda ! GRISELDA ! Un tonneau de cervoise sur ma table ou ta main me servira de torche cul, cracha le vieux Dagor, au bord de l’étouffement, tant il avait de glaire dans la gorge.
-Et croyez-moi, le dernier endroit que vous voudriez visiter est bel et bien le cul de cet ivrogne ! railla Eric, provoquant les rires de toute la clientèle. « Installe toi confortablement monseigneur Artys l’impassible, nous ne sommes pas près de quitter cette table… »
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Onyx
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MessageSujet: Re: L'Eclipse   L'Eclipse EmptyMar 5 Déc - 0:11

Chapitre 2 : Rebelle ?

-« Où étais-tu passée ? »s’enquit Alis, comme si la guerre faisait toujours rage.
« J’étais seulement en ville, à la recherche de nouvelles tentures pour notre cabinet de toilettes », dit Édith. « Tu ne sors jamais, sais-tu au moins où se trouve la porte ? »
Alis ne comprenait pas l’insouciance de sa sœur. Edith trouvait sa sœur niaise.
« Tu seras moins peste quand notre mère apprendra tes agissements de jeune rebelle » siffla la plus vieille des sœurs. La remarque d’Edith l’avait piqué au vif, et le parchemin qu’elle tenait dans sa main droite subissait la rage mal réprimée de son hôte, dont le visage avait tourné au rouge vif.
« Quoique que tu en penses, notre mère sait ce que je fais » dit Edith à sa sœur -ça n’était pas le cas-. La jeune femme quittait la pièce d’un pas pressé. Elle n’avait que faire de discuter avec sa sœur qu’elle décrivait « d’un ennui monstrueux ». Ses pas résonnaient dans le corridor qui menait à sa chambre, une vaste pièce toute en longueur, dans laquelle de nombreuses vitres cintrées venaient illuminer de mille feux les décors finement sculptés sur les boiseries qui ornaient les murs façonnés de bloc de grès. Sur sa gauche se trouvait encore quelques échafaudages, qui donnaient probablement un accès au plafond, afin d’y apposer quelques moulures tout droit sorties des ateliers de Marcangelo l’Altisse, un homme aux mains de dieu. Edith les esquiva avec élégance : « Dommage que tous les bâtisseurs n’œuvrent pas le dimanche » pensa-t-elle. De sa main gauche, parée d’une bague surmontée d’un écrin de saphir, elle saisit la poignet de la porte de sa chambre, lorsque surgit soudainement sa mère par l’embrasure, surprenant Édith.
« Si je n’avais pas entendu les complaintes de ta sœur j’aurais cru ouvrir la porte à une voleuse » dit la mère à sa fille. « Marches-tu sur la pointe des pieds par culpabilité ou par perversion cleptomane ? » La mère avait un air inquisiteur, sa taille en jouait pour bon compte car elle était au moins haute d’une lance, qui ne la rendait pour un rien virile, puisqu’elle était plutôt charmante, quoique légèrement impressionnante malgré la douceur de ses traits. Son regard d’un bleu glacial soulignait plus encore cette apparence inflexible, clairvoyante de toutes tromperies.
« Je ne fais que marcher avec l’élégance que m’inculque Lissandra. Notre gouvernante est certes passée de mode, mais ses enseignements sont intemporels, dit Edith encore tendue de la discussion partagée avec sa sœur.
- Ne t'a-t-elle pas appris à être prudente ? J’ai entendu les critiques de ta sœur, inutile de me mentir.
-Lissandra et Laurent m’ont appris à vivre, et non à m'enfermer dans un château dont les seules libertés s’appellent balustrades et carreaux. Je n’ai rien fait d’imprudent d’ailleurs. Sauf votre respect, je ne crois pas que le champ de foire soit plus dangereux que votre chaise percée.
-Tu parles comme ton frère, mais tu n’es pas lui. N’importe quel ivrogne briserait ton corps. Lissandra a dû te l’apprendre.
-Entre autres, oui. Où est père ? Il est bien le seul à me laisser vivre ici-bas, grommela Edith.
- Il devrait être de retour aujourd’hui, la traversée de la passe d’Argenta a été périlleuse, si je m’en fis à ce que j’ai lu, deux hivers seraient tombés sur les sentiers. » L’air affirmé de la mère fit foi de preuve pour Edith, qui attendait le retour de son père depuis plusieurs semaines, celui-ci s’étant absenté depuis quelques mois pour répondre à l’invitation d’Antoine Charmes à un banquet sur ses terres, eux qui furent frères d’armes dans la grande guerre contre la Naga. Edith se glissa entre sa mère et la porte en effleurant ses mains, un signe affectueux de congédiement. Son regard se perdit brièvement sur son lit, une belle menuiserie ancienne, gravée du renard à l’étoile des Médina : sa mère venait d’en changer la draperie, et une pile de linge à l’odeur amandée y trônait fièrement, encore chaude de son passage à la blanchisserie. Elle prit la direction de son balcon, bardé d’échafaudages, qui offrait une vue imprenable sur Aled, et plus au-delà les Aïlides, brumeuses et couvertes de neiges. Son regard dévia soudainement lorsqu’elle entendit une vitre se briser au loin, et que la clameur d’une foule enivrée se fit entendre jusqu’à même le palais.
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MessageSujet: Re: L'Eclipse   L'Eclipse EmptyMar 5 Déc - 0:12

Chapitre 3 : Débalustration
En ambiance de fond, l’on pouvait entendre des volées de choppes s’écraser, parfois contre des murs, parfois contre des hommes, et des cris résonnaient dans les étroits couloirs de la Pampa. Dans l’une chambres du premier étage, une putain criait si fort qu’elle venait à en couvrir la clameur qui émanait d’en dessous. C’était Ermin, qui la frappait doublement : avec son membre d’une part, et avec sa main de l’autre. Le vieux lit de bois craquait sous le poids des deux corps en action, fusion privée de sentiments mais pleine d’un désir charnel exalté par la chaleur quasi estivale que de miteux rideaux ne cachaient plus, si ce n’est la tête de l’homme et les larges cuisses de la femme. Le rythme soutenu qu’imposait Ermin à sa partenaire commençait à ralentir, il en avait terminé, et n’attendait pas de suite à ce qu’il considérait comme une besogne, l’assouvissement d’un besoin primaire au service de sa stabilité mentale. De sa main droite, il saisit deux pièces argentées, qu’il tendit à la femme avant de la congédier poliment. « Attention Artys ! » porta l’écho de la taverne à l’oreille d’Ermin et celui-ci de penser « Comment cela peut être plus sale que le cul de cette putain ?!! ». « Attendez-moi ! » cria-t-il à ses camarades par l’embrasure de la porte. En deux gestes agiles, il enfila un vieux chemisier qui pendait sur le lit, ainsi que ses guenilles. Il enfila en toute hâte une paire fatiguée de sandales, tout en se dirigeant vers les escaliers, qu’il descendit avec une certaine rapidité, non sans craindre de louper la dernière marche, extrêmement fine et réputée pour être fossoyeuse d’ivrogne. Il déboula dans un grand fracas sur le corps étalé d’Artys, ruisselant de cervoise, et lui tendit immédiatement sa main gauche. « Lève-toi mon frère » lui dit-il, avant de lui demander comment en étaient-ils arrivés là au principal occupé.
« - C’est la main d’Eric, elle s’est perdue sur le dos de Griselda, et …
- Le vieux Dagor s’est jeté sur moi » hurla Eric tout en fracassant un fauteuil de bois sur le dos d’un soiffard dont on ne retiendra pas le nom, tant la consommation excessive d’alcool avait boursouflé un visage déjà usé par des décennies d’obésité et de plaisirs malsains.
« On dirait qu’il va pleuvoir ! » lança Ermin en désignant l’énorme tonneau que le vieux Dagor s’apprêtait à jeter sur Eric. Illuminé par on ne sait quel être cardinalice, Artys plongea jambes en avant sur le pied droit de la table qui supportait la baleine de vin. Le vétéran en expulsa si violemment le point d’appui que celle-ci céda sous le poids du vieil ivrogne, provoquant un véritable chahut dans l’auberge, propulsant couverts et assiettes un peu partout aux alentours de la zone d’impact, tandis que le tonneau explosa, répandant son contenu sur le vieux Dagor et les personnes qui s’en trouvaient un peu trop proche, notamment l’ivrogne complètement assommé, qui se trouvait être la victime d’Eric et de sa lutte non conventionnelle. Le rugissement gras qui émana des profondes entrailles du vieux Dagor installa un silence éphémère, pesant, duquel l’ont pu extirper les quelques dires suivants de la bête : « Etripez moi ce porc d’Eric !!! »
« Artys, mais bon sang mais sors toi de là ! s’époumona Ermin en voyant son ami immobile face au monstre de gras.
- Il est bien trop large Ermin !
- Alors frappe lui les couilles !
- Sa bedaine les protège ! » en effet, Artys, même empli de bonne volonté, ne disposait pas d’un outil suffisamment aiguisé pour perforer une telle armure de gras, mais il se lança cependant dans un geste quelque peu osé, et l’on eut pu l’apercevoir tenter de retourner l’ivrogne, manœuvre sans succès qui valut à Artys de voir une choppe s’écraser violemment sur son visage, stoppant net toute tentative d’achever la bête. C’était Unar, le jumeau de corpulence de Dagor, à cela près qu’Unar n’était pas seulement gros, il était grand, et la seule chute libre de son poids aurait suffi à détruire un mur. « Ermin, emporte Artys avec toi et dégagez de là ! » lança Eric, avec un léger frisson d’inquiétude : s’il pouvait aisément gérer le vieux Dagor et ses camarades de beuverie, se battre contre Unar, c’était signer son arrêt de mort. Mais il ne pouvait pas non plus laisser ses amis se faire tabasser par une brute sanguinaire. Un simple regard sur la planche de bar lui donna une idée, et il se précipita vers lui, évitant de justesse un autre projectile qu’Unar propulsa en sa direction. Le géant de gras s’approchait à pas lourd vers Eric alors que ce dernier saisit d’un geste habile une fourchette rouillée et probablement porteuse de mort, et alla la planter dans le genou de la créature qui poussa un hurlement de douleur. « Son armure de gras avait donc une faiblesse » pensa Ermin au loin. Il porta le corps inanimé d’Artys vers l’extérieur, tout en gardant un œil attentif sur le devenir de son camarade, qui monta l’escalier à une vitesse surprenante, suivi par une dizaine de larbins d’Unar dont une bonne partie manqua la fameuse fossoyeuse. En approchant de la sortie de la taverne devenue arène, Ermin écouta les divers chocs que subissait le sol de l’étage, et en déduisit qu’il y avait suffisamment de vacarme pour espérer que son ami ne soit pas encore défiguré « Puisse-t-il ne pas finir en cul de pute » pensa-t-il. Il franchit la porte non sans mal, car le corps musclé d’Artys était difficilement manœuvrable, plus encore à la vue de la volonté que son possesseur investissait dans chacun de ses mouvements, et la porte était relativement basse, enfoncée dans le passage de la rue entre deux murs massifs.
Au même moment, une déflagration se produisit au-dessus d’eux, suivie d’une pluie de fragments de verres : Eric fut littéralement projeté au travers d’une vitre, qui se brisa sous le choc. Le projectile alla s’échouer dans le paillis des chevaux, multiplement tailladé par les tessons de verre, les gravillons et les brûlures de frottement, alors que déboula tout un cortège de chevaux et de gens en armures, guidé par un insupportable laquais beuglard, répétant la même rengaine « Faites place, faites place, car voici le Roi Richard d’Aled, écartez-vous mécréants, … » « ça ne pouvait guère être pire » souffla Artys en reprenant connaissance.
« Que s’est-il passé ici ? » demanda le Roi Richard, un sourcil manifestement arqué, du haut de son cheval blanc dont il interrompit la course à la vue de ces trois hommes à l’air particulièrement coupable. Ermin leva lentement la tête. Le souverain était un homme impressionnant, ses cheveux étaient coupés courts, en dégradé romain, soulignant une puissante mâchoire barbue, tout autant entretenue et virile que la chevelure qui la précédait. Richard paressait vigoureux et fort dans son armure blanche, dont le blason central représentait un renard blanc en position assise, diffusant une impression de sagesse. Le glaçant regard bleu du cavalier à la couronne scrutait la place, et finit par se fixer dans celui d’Ermin, qui pour la première fois depuis longtemps, avait peur d’un homme « C’est une rixe entre ivrognes qui a mal tourné monseigneur » commença-t-il à dire, la voix tremblante, « Et je crains que mes amis, mais aussi quelques-uns des braves clients de cette auberge, n’aient été victimes de la brutalité de deux individus » poursuivit-il. Il désigna l’intérieur du bâtiment avec sa main droite, comme pour suggérer au Roi de regarder dans cette direction, pour qu’il ne voit pas Eric complètement avachi au sol, couvert de purins, de tessons de verre et de copeaux de bois.
« Votre relative assurance me laisse à penser que vous aviez votre rôle dans cette gabegie, mais je n’en ferai pas cas de justice pour autant, disparaissez et ne causez pas plus de dommages que ce que votre vie pourrait en rembourser. Philus, relancez le convoi s’il vous plaît », lâcha le roi en intimant à sa monture de reprendre la marche. La suite royale repartit en direction du centre, laissant les trois comparses libres de trouver un abri pour la nuit, la Pampa n’étant plus habitable pour les jours à venir. Ermin, après s’être assuré de la stabilité d’Artys, aida Eric à se débarrasser du dépotoir qui l’entourait. Les trois compagnons prirent discrètement la poudre d’escampette, en empruntant le chemin de voie basse, une rue étroite et sombre, souvent puante et malfamée, qui avait permis à de nombreux malfrats de fuir à l'abri des regards.
« Nous pourrions demander à ce bon vieux Marco de nous héberger pour la nuit, sa forge est suffisamment grande pour nous trois » proposa Eric à ses camarades.
« Si l’on te coupe la queue, nous pourrons peut-être négocier. » dit Ermin avec un sourire narquois. « J’espère qu’il ne s’est pas trouvé de femme, sans quoi tu n’accepteras pas de la partager avec lui, si je m’en fis à ce que j’ai entendu à la Pampa.
-ça n’était qu’à moitié ma faute, Gry n’aurait jamais dû relever sa robe devant moi.
-Et tu n’aurais jamais dû lever les yeux, ni ton membre d’ailleurs. Artys aurait pu ne pas s’en relever s’il n’avait pas le crâne plus dur que de l’ébonite. Le vieux Dagor va vouloir le mettre en morceau après le meurtre de sa barrique.
-Nous serons déjà à Esgard qu’il n’aura même pas franchi le pas de la porte » gloussa Eric, au bord du fou rire.
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MessageSujet: Re: L'Eclipse   L'Eclipse EmptyMar 5 Déc - 0:16

Chapitre 4 : Richard de Médina

« Ils sont là. » de Lucènes fut formel quand il s’adressa à son second, solidement accroché au mur qui lui faisait face, alors que le soleil se levait. Maître des Clefs d’Aled en l’absence du baron de Montrozier, il s’était donné intérêt à assumer l’accueil du roi, après que sa femme lui avait mis en avant le gain de notoriété qu’il pourrait en tirer. Il était facile de dire de Lucènes qu’il fut simple homme : écarté de la succession familiale par son père, la faute à un esprit simplet et un physique faible, il n’accéda à la noblesse de titre que par concours de circonstances : l’intégralité de sa fratrie, ainsi que, pour son plus grand bonheur, son père, perdirent la vie à la bataille d’Argencourt, lors des guerres d’indépendance. Aujourd’hui, le destin sourit à nouveau au comte de Tilly, car il avait une chance d’exister dans l’esprit du Roi.
« -Apportez moi les clefs de la porte Laurent, et prévenez Maria de l’arrivée du Roi , dit-il avec un air plus que suffisant.
- J’y cours monseigneur.” Laurent n’était pas dupe et savait très bien que le Comte avait déjà les clefs en sa possession, puisque pendait à sa ceinture le maillon émeraude, une pierre qui ornait l'anneau de la clef depuis des siècles. “Ou peut-être que cet imbécile à retiré la clef” pensa-t-il. Le seigneur, que les membres de la maison du roi nommaient « le puant », était, en sus d’être malodorant donc, un véritable moulin à machinations et conspirations en tous genres, qui le plus souvent ne dépassaient pas le stade de la parole, puisque le Comte peinait énormément à réaliser quelque chose sans le rater, ou pire, le dévoiler. Qui plus est, nombre de ses plans abracadabrantesques ne trouvaient de sens que dans son impénétrable pensée, et paraissaient au mieux inutiles aux yeux de tout le monde, sinon complètement absurdes. Fidèle à ses principes, qui impliquait une loyauté sans faille, Laurent alla tout de même en direction de la salle des joyaux, il ne voulait pas et ne pouvait pas se permettre de commettre une erreur, à la seule justification que son maître temporaire était d’une imbécilité abyssale. « Et qu’il est également bien trop faible pour se faufiler à travers les galeries du vieux donjon lui-même », se permit de penser le valet. La salle était l’exact opposé de ce que l’on eut pu espérer : la pièce était sombre, faiblement éclairée par un candélabre partiellement recouvert de bougies tordues et d’une épaisse couche de cire empoussiérée. Quelquefois, on pouvait entendre le clapotis d’une goutte d’eau qui s’échappait de la voûte pour aller s’écraser auprès d’une flaque que les précédentes avaient formée. Laurent se cogna la tête dans le linteau de la porte, et laissa échapper un grognement de douleur.
- « Cette porte est bien trop basse, souffla-t-il avant d’apposer sa main gauche sur son front.
- Je songerai à prévenir mon père de cette malfaçon, dit-une voix douce au loin, afin que vous ne soyez pas atteint de démence dans les années à venir.”
Laurent se retourna en toute élégance, et exécuta une révérence soulignée par la position contre son cœur de son bras droit.
“- Altesse, me rendre ce service ferait de vous ma servante, et je ne puis en supporter l’idée.
- N’ayez crainte Laurent, je ne dirais pas un mot à propos de vous qui ne soit pas un compliment. Puis-je connaître la raison de votre présence dans la galerie ?
-Le P… le protecteur de la cité, commença-t-il en se raclant la gorge, m’envoie chercher les clefs de la porte, qui ne se trouvent pas ici.” “Comme c’est étonnant” rajouta-t-il avec un air narquois.
“ -Elles sont en sa possession, de toute évidence. Lucènes qui ne complote pas est un comte qui trafique, rétorqua la princesse. Allez, finissez votre tâche et retrouvez-nous dans la cour, et gare aux linteaux !
Laurent, même si conscient de son statut de serviteur, se sentait à l’aise et respecté avec la plus jeune des enfants royaux. Elle lui témoignait un grand respect, et il s’attachait grandement à nourrir ce témoignage de valeur par ses actes : il apportait régulièrement son linge au blanchisseur, et s’arrangeait toujours pour que la chambre de la princesse soit garnie d’encens, même si cela ne relevait pas de ses devoirs. D’aucuns pensaient que le valet s’était entiché de la maîtresse, mais il n’en était rien. Un temps, ce fut peut-être même l’inverse, mais rien ne prouvera jamais cette théorie farfelue, qui était née de la bouche pourrie du temporaire maître des clefs de la forteresse royale.
Laurent filla ensuite vers les appartements de la femme du Puant, son grand corps lui permettant d’avancer à pas de géants dans le dédale de couloir, d’échafaudages et d’escaliers qui jalonnaient le chateau. La famille de Lucènes avait pris quartier dans l’aile ouest, un amalgame d’hôtels mitoyens qui étaient reliés par un couloir nouvellement percé, et qui feraient certainement l’objet d’une rénovation de façade, pour harmoniser l’aspect du château. Un claquement régulier attira l’attention du valet alors qu’il approchait de son but, et lorsqu'il fut devant la porte de la suite du Comte, il glissa rapidement sa tête dans l’embrasure. Son visage se décomposa rapidement face à la scène qu’il découvrait, médusé : jambe écartée, à peine dénudée, Mme de Lécènes, la femme du comte, se faisait prendre par un garde de sa propre maison, à l’apparence fragile et juvénile. La scène dénotait du décors qui l’entourait, les amants apparaissaient comme vulgaires dans une chambre à l’allure chaleureuse, laquelle était parée de peintures à la gloire de la nature, soulignées par des meubles de bois sculptés de feuilles et de roses, une mise en exergue de la pureté de la fleur qui s’opposait alors à la grivoiserie d’à coté. Il n’y avait rien d’érotique à observer une telle obscénité, mais le valet se jura de consigner “l’évènement” dans le registre éponyme, un grimoire à l’apprence lugubre que se partageait les membres lettrés de la maison du roi, et dans lequel était renseigné quantité d’observations étonnantes et autres commérages de cour. Il n’en dirait rien au comte cependant, et pensa “Ma tête sera écourtée, même avec l’appui d’Edith”, et ne se permettrait donc de seulement signifier au Puant que Madame la Comtesse n’était pas encore prête. Au service de sa majesté le Roi, on ne mentait jamais. Quelques dizaines de pas vers la cour, entrecoupés d’une descente à toute allure de la Tour Pendue, lui permirent de retrouver à nouveau de Lucènes, ruisselant de sueur, qui effectuait les cent pas sous un soleil ardent.
« -Monseigneur, votre dame se prépare dans sa suite. Elle m’a fait savoir que votre aide serait appréciée pour l’aider à choisir sa tenue.
-Ecoutez, je n’ai pas de temps pour ces futilités, ma pleine pensée est dirigée vers l’arrivée du Roi. Richard est impatient de me retrouver et de constater à quel point j’ai excellé dans la gestion des affaires de la cour.”
Laurent garda le silence. Il ne le supportait plus. « L’ai-je seulement supporté un jour ? Assurément pas » pensa-t-il. Il s’apprêta à partir, lorsque le son d’une cavalcade lui fit changer d’avis, suivi par la criarde voix de Philus qui annonçait le retour du Roi. Laurent n’appréciait guère « cet immonde nabot » -pour ne pas changer-. Leur désamour s’exprimait au travers de la rivalité entre la princesse Edith et sa sœur. Philus fut de longues années durant le maître d’apprentissage d’Alis, et lui avait enseigné tout ce qu’il y avait de plus austère dans l’univers. Lui, qui avait une personnalité fade, avait complètement déteint sur l’ainée des sœurs, aussi chaque leçon qui passait rendait la jeune princesse toujours plus craintive et anxieuse, n’osant plus sortir de peur d’en perdre la vie, et craignant même la chaise percée si elle n’était pas en compagnie de suivantes. Conscient des lacunes de son courtisan, le Roi avait procédé à un changement de maître de la cour à la naissance des jumeaux : Philus allait le servir personnellement comme page au sein du conseil, alors qu’un jeune valet remarquable, Laurent, prendrait en charge l’éducation de la benjamine des Médina. Philus fut alors, pour la seule et unique fois de son existence, envahit d’une puissante et incontrôlable émotion de colère « Comment un simple parvenu de valet pouvait prétendre enseigner à une princesse !? » avait-il lancé alors que la majorité de la cour se prenait au jeu de la moquerie, et que le plus célèbre des conflits de la maison du Roi commença, et perdura jusqu’alors, bien que les deux princesses avaient atteint l’âge adulte. Mais, à la différence de son rival, Laurent ne détestait pas Alis comme Philus détestait Edith.
Le regard des deux rivaux se croisa, celui-ci se pavanant sur son cheval était empli de dédain, en net contraste avec le sourire narquois qu’afficha Laurent, ravie de retrouver son souffre-douleur. Suivait en enfilade Henri d’Ennsy, le commandant de la garde royale, ainsi que trois des meilleures épées de la même institution. Tous portaient la cape bleue, apparat d’appartenance mais néanmoins et avant tout prestigieux indicateur d'habileté au combat, car tous étaient aussi forts que fines lames. Le visage de Laurent changea rapidement d’expression lorsque le premier scintillement de l’armure du roi lui apparut au coin de l’œil. Il posa un genou à terre, et observa avec respect le passage de son souverain et ami. Richard interrompit l’avancée de son destrier face à Laurent :
- « Lève-toi mon ami, je n’ai pas besoin de toutes ces grâces, et tu le sais.
- Vous êtes tout de même mon Roi, et la fureur de Philus est nettement plus appréciable quand elle est provoquée avec plus d’élaboration, dit Laurent sans pouvoir se démettre d’un rictus marqué.
- Votre rivalité est une source de bonheur incontestable à la cour, plaisanta-t-il. Va trouver Édith et Gauvin, une session parlementaire va avoir lieu et je veux les savoir présents.
- Il en sera fait selon votre volonté majesté”, acquiesça Laurent en effectuant une gracieuse révérence. S’il savait où trouver Gauvin, au lit, il ne savait pas où Édith passait ses dimanche et espérait donc tomber à nouveau sur elle en allant tirer son jumeau du lit. Les appartements de la famille royale se trouvaient au centre du château, vers lequel le valet se dirigea, passant sous une galerie d’arcades aux pilliers faits de granit rouge reposant sur des piles de marbre blanc qui venait d’être pavée il y a un peu plus d’une semaine. Laurent croisa d’ailleurs le superviseur des travaux, Auguste Lancy, un bourgeois qui avait connu une ascension sociale phénoménale grâce à ses liens avec le Roi. Sur le visage de cet homme se lisait l’impatience de montrer les progrès du chantier au Roi, mais surtout d’obtenir son approbation et de jauger sa satisfaction. Le valet le salua d’un geste de main mais ne s’arrêta pas, car les cloches sonnaient la mi-journée, et il craignait qu’elles réveillent le prince, qu’il devrait donc chercher en plus de sa sœur, ce qu’il ne souhaitait pas. Il grimpa donc les marches de l’escalier monumental à grand pas, s’aidant de la rampe de marbre doré, et aboutit finalement devant la chambre de Gauvin tout transpirant et essoufflé, dans laquelle il entra quelque secondes seulement après avoir frappé, et trouva le jeune homme en train de lacer sa chemise.
- “Laurent ? demanda-t-il, un sourcil manifestement arqué.
- “Altesse, votre père vous requiert au parlement, dit-il avant de reprendre son souffle. Il souhaite également que votre sœur en soit.
- Je m’en doutais. Je suis heureux de le savoir de retour, lança-t-il avec un large sourire, je commençais à me languir de ses récits de guerre et à mourir d’ennui face aux histoires sans reliefs d’Alis.
- Certes, répondit Laurent en réprimant difficilement un rictus. Savez-vous …
- Elle est probablement dans les jardins, si c’est de ma sœur que tu souhaitais parler, le coupa-t-il. Père a-t-il parlé de la venue du seigneur de Corgèze ?
- Non, rien à ce sujet, mais je n’ai pu échanger avec le Roi que l’affaire d’une minute. Sa présence vous indispose ?
- Non, simple curiosité, finit-il avec un sourire narquois.”
Laurent exécuta une noble révérence, puis quitta la chambre du prince avec beaucoup plus de vigueur qu’il n’en avait lorsqu’il était arrivé. Prenant les escaliers en sens inverse, il fut interrompu par la voix de Gauvin qui l'interpella “Laurent, dis à ma soeur que je serai là, et si ça ne suffit pas à la faire venir, dis lui qu’Alis n’est pas conviée, même si je n’en sais rien !”. Amusé, le valet poursuivit son chemin vers les jardins, qu’il adorait visiter, surtout par de telles chaleurs. Devant les portes qui donnait sur la cour intérieure du château, Laurent fut saisi par l’odeur caractéristique des magnolias qui s’alignaient entre des cyprès sur l’allée centrale, et dont les bourgeons de la semaine passée avaient fait naître de magnifiques fleurs aux teints vifs, s’épanouissant sous un soleil généreux et profitant de la fraîcheur procurée par le bassin d’Oerba, qui séparait l’allée en deux chemins parfaitement symétriques, ombragés par les cyprès et quelques immenses arbres dont le valet ne connaissait pas le nom. Les jardins étaient à cette heure-ci déserts, les servants s’afférants pour la majorité d’entre eux aux cuisines et services, là où les nobles et autres gens de cours profitaient des délicieux mets préparés par les précédents. Presque découragé, Laurent commença à rebrousser chemin avant d’entendre le doux écho de la voix de la princesse, qui enfilait avec l’aide de deux servantes une nouvelle jaque tout droit sortie des Ateliers de l’Altisse, une enseigne reconnue dans toute la cité pour la qualité des pièces d’équipements et des orfèvreries que son maître forgeron réalisait. La jeune Médina était nue, de dos, sa longue chevelure ondulée retombant gracieusement dans le creux de sa cambrure prononcée, dessinant une silhouette féminine des plus élégantes face à un valet rougissant, qui s’agenouilla presque immédiatement en voilant son visage avec sa cape.
“- Altesse, je suis confus de vous importuner en un tel moment, commença-t-il en bredouillant avant de se ressaisir, votre père m’a mandé de vous convier au congrès parlementaire.
- Laurent, quel plaisir de te voir ! Tu ne pouvais tomber à meilleur moment”, dit-elle en affichant un sourire légèrement pincé. Une brise de vent parcourut le kiosque dans lequel se trouvait la princesse et le valet, laissant apparaître à ce dernier le corps, cette fois-ci habillé, de sa protégée. “Je voulais simplement essayer ce nouveau gambison, mais force est de constater que père en a décidé autrement. Quelles nouvelles porte-t-il ?
- Je n’en sais guère plus que vous, je ne l’ai vu qu’une paire de minutes, et il est resté discret quant à son périple en terres Charmantes.
- Bien, j’imagine que nous en saurons plus après la séance parlementaire, lâcha-t-elle sans conviction.
- Justement, votre père souhaite vous y voir en tant que “participante”, insista-t-il en la désignant du doigt. Gauvin m’a fait savoir qu’Alis ne serait pas présente, c’est une aubaine pour vous faire connaître des seigneurs de ce pays !
- Je suppose que je n’ai ni le choix ni son embarras … Bien, raccompagne moi jusqu’à mes quartiers et rafraîchis mes maigres connaissances sur la politique actuelle de notre Royaume, j’imagine que mon père sera satisfait si je parviens à comprendre quelques discussions …
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MessageSujet: Re: L'Eclipse   L'Eclipse EmptyMar 5 Déc - 0:17

Chapitre 5 : La forge de l’altisse
Marcangelo était l’un des principaux forgerons et orfèvres du quartier de Médina. Son échoppe, attenante à sa forge, était idéalement située, au croisement de la rue de Jade, célèbre pour ses nombreux artisans de produits luxueux, et de la rue d’Ancelme, quant à elle connue pour la quantité d’hôtels particuliers et de pavillons bourgeois qu’elle comprenait dans son tracé presque rectiligne.. Marco était forgeron, fils de forgeron Esgardais et d’une diplomate Natine, donc assimilé à un Altisse (le parler local désignait par Altisse ce que les autres contrés désignaient comme métisse). Ce jour-là, Marco ne passait pas une bonne journée. Ce dimanche avait commencé sous une chaleur presque tropicale, et la chaleur des fourneaux s’évacuait à grande peine de la forge, forçant le maître orfèvre à s’essuyer régulièrement le visage des gouttes de sueur qui perlaient de son front, avec un chiffon plus noir de saleté que le minerai de fer qui jonchait les différents bacs. Marco n’était pas grand, ni spécialement épais, mais ses mains, habiles et sensibles, lui permettaient de frapper le métal avec précision, offrant de ses efforts des lames et autres objets forgés de qualité supérieure. En fait, la chaleur n’était qu’un facteur secondaire de son état d’esprit du jour, car ce qui énervait plus particulièrement Marco, c’était le passage incessant d’habitants qui s’agglutinaient pour observer son travail à travers les quelques ouvertures de sa forge, alors qu’il lui était détestable d’être observé alors qu’il exerçait son talent. Le dimanche étant un jour de repos, ses admirateurs étaient légion, et l’altisse ne forgeait rarement plus d’une heure avant d’abandonner -ce dimanche, il ne forgea guère plus d’une demi-heure-. « Pourquoi avoir choisi cette échoppe si exposée… » gromela Marco, agacé de son propre choix. La plus grande partie de sa journée, il la consacra finalement à assurer le suivi de ses approvisionnements, à consigner les ventes de la semaine et à transporter l’argent de sa caisse vers le coffre de son échoppe. La fin d’après-midi approchait à grand pas, et Marco songeait à retrouver le marteau et son enclume. C’était sans compter sur l’arrivée d’un trio infernal à la porte de son échoppe.
« -La porte est fermée Eric, on ne devrait peut-être pas frapper, dit Artys.
-Ne te fie pas aux apparences, Marco n’est peut-être pas autant chaleureux que ses forges, mais il ne refusera pas le logis à un ancien camarade »
En fait, Ermin n’était pas seulement un ami du forgeron, ils avaient en effet servi tous deux dans le XIVème, et y avaient tissé de solides liens, les mêmes que peuvent unir deux frères. Aussi, Ermin savait pertinemment que l’altisse lui offrirait un toit pour la nuit, et pour celles à venir. Ermin frappa à la porte en saisissant et le heurtoir, trois coups directs suivi de deux coups secs, leur signature de toujours.
« -Ermin ?
-Lui-même, ainsi que deux amis, tous sans toit pour la nuit.
-Vous avez donc fini par détruire cette auberge… Vous avez pris votre temps ! Entrez par la porte arrière, je n’ai pas envie d’être pris à partie par une horde d’ivrognes sauvages.
-Le vieux Dagor compte pour deux hordes ! » lança Eric.
Le trio se dirigea vers un petit corridor entre l’échoppe de Marco et celle de l’artisan voisin, qui permettait à chacun d’accéder à leur domicile tout en profitant d’un relatif calme, tout du moins vis-à-vis de la rue -un calme inexistant lorsque l’on reçoit un trio aubergicide-. Marco les attendait face à une porte, qui n’en était pas réellement une, c’était une sorte de rideau épais, d’une couleur tirant vers le gris, usé par le soleil et les chaleurs de la forge. « Il n’a pas pris une ride » pensa Ermin, « Mais il est plus gras » acheva-t-il, avant de le serrer dans ses bras.
« Vous trouverez des paillasses dans le débarras. Pardonnez mon manque d’hospitalité, je ne reçois pas souvent.
-Ils s’en contenteront Marco, nous te sommes déjà infiniment redevable.
-Qu’est-il arrivé à ce bougre, » demanda le forgeron, en désignant Artys avec le manche de son marteau.
« - Une chope s’est perdue contre son visage sans crier gare, mais Artys est un crâne dur, vide oui, mais dur » dit Eric, vissé d’un rictus inextricablement arrogant. Il n’est pas faux de dire qu’Artys était blême. Silencieux, le bâtisseur avait difficulté à cacher sa douleur, alternant entre vertiges et souffrances. Pendant Qu’Eric, Ermin et Marco discutaient de quelques sujets mondains - Marco avait-il une femme désormais ? -, il prenait la direction du débarras. L’hôte lui avait indiqué que les paillasses étaient entreposées entre deux caisses d’armes, mais il lui semblait en voir trois. Non sans mal, il se saisit, avec l’élégance d’un albatros, de trois peaux de cerfs tannées, que Marco avait rembourré avec un peu de coton, le tout cousu rudimentairement avec un fil de lin. Il les installa dans le salon, près de l’âtre. Artys ressentit une vague de satisfaction lorsqu’il s’allongea, sensation de courte durée, puisque Eric et Ermin arrivèrent dans la pièce, bouteilles de vin en main. Marco suivait le mouvement, le visage défait : il avait compris qu’il ne s’en sortirait pas avant que les deux buveurs aient satisfait leur soif…
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